Foire des connaissances : Crise alimentaire ou crise des savoirs, on en parle

Un après-midi de juillet, entre soleil et nuages, offre un climat doux et frais inhabituel pour la saison. Au Centre Culturel Izuba, le ciel semble sourire à l’initiative de Share-Net Burundi : une foire de connaissances réunissant des jeunes de diverses organisations, tous animés par une même ambition échanger idées et savoir-faire pour bâtir un Burundi meilleur. Dans l’un des booths, les discussions s’animent autour d’un défi vital : la sécurité alimentaire et nutritionnelle du pays. Quel meilleur prélude à un week-end ?

Le Burundi, bien que riche en ressources agricoles, demeure vulnérable sur le plan de la sécurité alimentaire. En plus, en 2023, il enregistre une malnutrition chronique chez les enfants âgés de 0 à 59 mois, à un taux de 55.9%. En partant de cette réalité, Théophile Ndayisenga, directeur exécutif d’ACSO Burundi (Action Santé Communautaire), une organisation qui promeut la santé communautaire à travers la protection de l’environnement par les bonnes pratiques en matière d’hygiène et assainissement, invite les participants à réfléchir : Le Burundi, traverse-t-il une crise alimentaire ou plutôt une crise de connaissances ?

La crise de connaissances : un danger invisible

Dans certains ménages burundais, les familles consomment les mêmes aliments chaque jour. Toutefois, il est bien connu qu’une alimentation équilibrée est essentielle pour la santé. Un participant souligne que certains chefs de famille restent dans la conviction que certains aliments comme les fruits ne doivent être consommés que par les enfants. Un autre d’ajouter que les agriculteurs sèment à l’aveugle, ne sachant pas s’ils cultivent sur un sol fertile ou pas. Finalement, tous s’accordent à dire que le manque de connaissances pèse lourdement sur la sécurité alimentaire au Burundi.

Pour un pays doté de sols fertiles, d’une alternance saisonnière, et de semences variées, il est contradictoire de constater un taux élevé de malnutrition. Trois lacunes principales émergent des discussions :

  1. Non disponibilité des données sur la fertilité des sols: des chiffres avec des descriptions précises sur les types de sols et leur fertilité permettraient aux décideurs d’identifier les terres à cultiver et celles à exploiter différemment. Quant au cultivateur, il ne sèmerait plus à l’aveugle. Il ne se demanderait plus pourquoi son voisin a moissonné et non pas lui, puisqu’ il saurait que celui-ci a peut-être semé sur un sol fertile ou corrigé par le chaulage du sol
  2. Non disponibilité des données sur les semences : en l’absence d’informations sur la qualité, la quantité, la variété et la distribution des semences, les agriculteurs ne savent pas quoi planter. Qui plus est, cela limite leur accès aux bonnes semences adaptées au type de sol et à leur région.
  3. Absence de cartographies des zones fertiles : sans une représentation précise des zones propices à la culture, il est difficile d’optimiser l’exploitation des terres.

De ces lacunes, découlent des impacts négatifs tant pour les agriculteurs que pour le pays, tels que la culture à l’aveugle et une sous ou sur utilisation des fertilisants, rendant l’agriculture mal planifiée.

L’union fait la force

Dans une ambiance conviviale, où les idées émergent naturellement, la discussion se poursuit. Une question se pose. Quels défis institutionnels rencontrons-nous ?

Une faible coordination entre les acteurs du secteur agricole est constatée. Le souci majeur est que chacun mène ses actions de son côté. Comme le dit déjà cet adage « L’union fait la force », les participants s’accordent à dire que les institutions devraient collaborer pour avoir un impact significatif.

Un participant évoque un autre obstacle: « il y a des compétiteurs jaloux qui, au lieu de partager ou puiser des connaissances chez leur voisin, préfèrent tout faire pour le détruire». Théophile Ndayisenga illustre ce problème : Chaque institution a son propre potentiel, mais le manque de soutien mutuel limite leur efficacité. En guise d’exemple, l’ACSO Burundi dispose d’un système de collecte et de séparation des urines et matières fécales humaines pour en faire des fertilisants. Les agriculteurs qui peinent à se procurer les engrais pourraient bénéficier de ce savoir-faire mais l’absence de collaboration empêche certains acteurs qui œuvrent dans le secteur agricole de connaitre cette pratique.

Les participants estiment que l’idéal serait que les ministères concernés, à savoir le ministère de la santé publique et de lutte contre le SIDA ainsi que le ministère de l’environnement, de l’agriculture et de l’élevage, rassemblent les différents acteurs du secteur de la sécurité alimentaire et de nutrition pour un travail collectif en vue d’une production accrue.

Transformer les défis en opportunités

Des idées novatrices, il n’en manque pas. Parmi les innovations en matière de production agricole à renforcer, l’on pourrait citer les suivantes :

  1. Pour pallier le manque d’eau d’irrigation, des agriculteurs font recours à la micro-irrigation. Parmi les techniques utilisées figurent la dérivation contrôlée des cours d’eau vers les parcelles via des canaux secondaires, ou la construction de citernes de collecte des eaux pluviales en zones montagneuses pour une irrigation différée.
  2. L’agroforesterie, qui associe cultures et essences arborées, améliore significativement la fertilité pédologique par la fixation biologique de l’azote et la réduction de l’érosion.
  3. Intégrer les connaissances et les compétences locales. A titre d’exemple, l’expertise des producteurs de compost de qualité peut avoir un impact considérable sur l’agriculture burundaise.
  4. En 2025, à l’ère du numérique, des plateformes digitales facilitentla centralisation et traçabilité des données agronomiques, l’interopérabilité des systèmes d’information et le partage collaboratif de connaissances entre acteurs.
  5. Des formations continues aux pratiques agricoles résilientes sont cruciales pour substituer aux méthodes traditionnelles obsolètes des techniques fondées sur des preuves scientifiques.

Grosso modo, pour améliorer la production agricole et la santé de la population burundaise, cinq propositions de solution ont émergé du groupe :

  1. Créer une base nationale de données agricoles recoupant fertilité des sols, semences adaptées, etc.
  2. Mettre en place des bulletins agricoles communautaires pour informer sur les cycles pluviométriques. Les bulletins contiendraient des informations qui éviteraient à un agriculteur d’ensemencer une culture nécessitant 4 mois pour atteindre sa pleine croissance alors que la saison des pluies ne durera que 2 mois.
  3. Désigner, sur chaque colline, des agents d’alerte climatique chargés d’annoncer l’arrivée imminente des saisons pluvieuses ou sèches, afin d’inciter les agriculteurs à semer au moment optimal.
  4. Élaborer une cartographie des pratiques culturales éprouvées, impliquant l’identification, l’analyse et la diffusion des méthodes ayant démontré leur efficacité pour optimiser les rendements.
  5. Structurer les échanges entre tous les maillons de la chaîne décisionnelle, des instances nationales aux acteurs de terrain.