Les aides alimentaires internationales aggravent-elles la dépendance alimentaire des pays en développement ?

L’aide alimentaire reste indispensable au Burundi, où près de 1,17 million de personnes font face à une insécurité alimentaire aiguë. Cependant, cette assistance pourrait également maintenir le pays dans une dépendance prolongée. Pour débattre du lien entre aide alimentaire étrangère et dépendance, une tribune des idées a été organisée par le Club d’actualité économique en collaboration avec Share-Net Burundi. Des jeunes étudiants ont ainsi pris la parole pour défendre leurs positions sur cette problématique essentielle.

Le 14 novembre 2025, deux équipes se sont affrontées : celle de l’Université du Burundi et celle de Burundi International University (BIU). Deux étudiants par équipe ont exposé leurs arguments pour affirmer ou infirmer l’assertion : « Les aides alimentaires internationales aggravent la dépendance alimentaire des pays en développement. »

Non à l’aide à long terme

Pour Tessy Lorine Niyomahoro, étudiante de BIU, l’aide alimentaire étrangère comporte de graves risques. Elle a déclaré :
« En regardant l’impact de cette aide sur les marchés intérieurs, elle cache une triste réalité ; celle d’une dépendance qui hypothèque l’avenir de toute une nation. »

Son collègue Prince Charmant Irashitsa a renforcé cette idée en citant un proverbe kirundi :
« Agatoke kamenyereye gukomba kama gahese. »
Il a expliqué que les mauvaises habitudes finissent par nous transformer négativement.

Les étudiants de BIU ont mis en lumière plusieurs effets néfastes de l’aide alimentaire internationale :

  1. Elle crée une concurrence déloyale pour les agriculteurs locaux, comme l’illustre le cas du Gabon où le pain importé de France nuit aux producteurs nationaux.
  2. La gratuité des produits alimentaires peut décourager la production locale et entraîner une dépendance envers l’aide extérieure.
  3. L’afflux massif de produits étrangers déstabilise les marchés locaux et provoque une chute des prix des produits agricoles locaux, entraînant des pertes pour les agriculteurs et les commerçants.
  4. Elle empêche les populations bénéficiaires de développer leurs propres capacités de production.
  5. Elle devient inefficace si elle n’est pas intégrée à une véritable stratégie de développement agricole.

Oui aux aides alimentaires internationales

En face, Océane Anny Dilanta Ineza, représentante de l’Université du Burundi, a présenté l’aide alimentaire comme un soutien vital. Avec son collègue Abdi Kevin Ngendakuriyo, elle a défendu une vision positive de cet appui, qu’elle considère avant tout comme une intervention salvatrice.

Leur argumentaire repose sur plusieurs points :

  1. Grâce aux projets menés par l’Unicef, la FAO et le PAM, 56 739 personnes ne sont plus en état de malnutrition.
  2. Des pays comme le Rwanda, le Ghana, le Vietnam ou encore les nations européennes après la Seconde Guerre mondiale ont utilisé l’aide internationale comme un point de départ, et non comme une dépendance.
  3. Au Burundi, 41 % des ménages consacrent les trois quarts de leurs revenus à l’alimentation ; l’aide alimentaire permet de libérer une part de leurs ressources pour d’autres besoins essentiels, comme la santé ou l’éducation.
  4. Elle constitue également un investissement dans la paix et la stabilité, car « la faim n’a jamais construit la paix ».
  5. Elle s’inscrit dans la marche vers la vision nationale : « un pays émergent en 2040 et pays développé en 2060 », impossible à atteindre le ventre vide.

L’équipe de l’Université du Burundi a ainsi soutenu :
« Au Burundi comme ailleurs, l’aide alimentaire apaise les crises. Elle réduit la pression sur les ménages, évite les mouvements de panique et donne aux gouvernements le temps de stabiliser, planifier et reconstruire. »

Pour ou contre ?

Tessy Lorine Niyomahoro, de BIU, est restée ferme dans sa position. Elle a rétorqué :
« Le problème n’est pas l’ambulance qui vient après un accident, c’est la béquille qui vous empêche de remarcher. Depuis quand le Burundi est en situation d’urgence ou jusqu’à quand serons-nous dans l’urgence ? Rappelons que cette aide à long terme finira par étouffer l’économie locale. »

Pour répondre, Abdi Kevin Ngendakuriyo, de l’Université du Burundi, a rappelé la situation d’urgence par des données chiffrées :
« Le déficit global du projet de loi des finances 2024/2025 s’élevait 449,60 milliards de BIF contre 426,51 milliards de BIF en 2023/2024. En outre, selon l’analyse budgétaire 2022-2023 de l’Unicef, plus de 5 enfants sur 10 de moins de 18 ans vivent dans des ménages qui n’ont pas les moyens suffisants pour satisfaire leurs besoins de base. »

Il a également cité Josette Sheeran, ancienne directrice du PAM :
« L’aide alimentaire ne doit pas être une perfusion. Elle doit être une passerelle vers l’autonomie. »

Cette citation met en évidence l’enjeu central : l’aide alimentaire ne peut pas être une solution permanente, mais doit permettre au pays de se stabiliser et de mettre en place une stratégie de renforcement de la production locale.

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