LES VIOLENCES PSYCHOLOGIQUES, UN MAL SILENCIEUX
Souvent méconnues, les violences psychologiques, dites aussi invisibles, font autant de mal que les violences physiques. Comment les reconnaître, les prévenir, et quel soutien aux victimes ? Ces questions ont fait le sujet d’un Space organisé par Share-Net Burundi le 5 décembre, avec deux psychologues du Cabinet Unwind (une psychologue et une psychologue clinicienne.)
D’entrée de jeu, les deux intervenants ont d’abord évoqué la compléxité de la violence psychologique. Selon Iradukunda Ange Paquitta, psychologue clinicienne, la violence psychologique est une forme insidieuse d’abus, souvent masquée derrière des attitudes, mots, ou comportements qui semblent bénins en surface. C’est cette intention cachée de nuire, sans laisser de traces physiques apparentes, qui la rend particulièrement difficile à identifier. Les actes de violence psychologique, dans leur diversité et subtilité, peuvent même être confondus avec des manifestations d’affection, rendant la reconnaissance et la confrontation de ces comportements un véritable défi.
Gatoto Roxane, psychologue conseillère, souligne quant à elle que la violence psychologique n’est pas un événement isolé, mais plutôt un processus progressif, s’immisçant sournoisement dans divers types de relations : conjugales, parentales, amicales, professionnelles, etc.
Durant les échanges organisés par Share-Net Burundi, il était également question de reconnaître les signes de la violence psychologique.
- Détournement cognitif : L’auteur de la violence minimise et nie tous ses comportements abusifs quand on le confronte. Il inverse les rôles et se positionne en tant que victime et essaye d’embrouiller l’esprit de la victime en trouvant souvent des moyens de la culpabiliser, de la faire douter d’elle-même au point de s’excuser pour des erreurs qu’elle n’a pas commises.
- Abus financier : Souvent visible dans un couple marié, la victime de la violence psychologique peut être interdite d’accès aux finances du foyer, ou contrainte de donner son salaire à son partenaire dans le but d’empêcher la victime d’être indépendante et autonome. (Dans ce cas, souvent la victime est obligée de demander de l’aide financière à ses proches pour survivre.)
- Viol par emprise : Cette forme se retrouve plus dans des relations de couple. C’est le fait que le partenaire est extrêmement insistant pour avoir des rapports sexuels et va utiliser des techniques comme le chantage, la peur et la menace pour arriver à ses fins. Pour la victime, elle n’en peut plus parce qu’elle est sollicitée tout le temps parce que ça lui donne une mauvaise image d’elle-même. Et cela crée une immense pression sur la victime qui risque d’accepter mais cela n’est plus une sexualité de partage et de plaisir mais ça devient une objectivation de l’autre.
- Contrôle et isolement : l’auteur de la violence psychologique fait en sorte de contrôler tous vos faits et gestes et vous traite comme un enfant sous prétexte qu’il veut vous protéger et il pense que vous n’êtes pas capable de savoir ce qui est mieux pour vous. Il a tendance à vouloir tout diriger dans votre vie : la victime ne peut plus sortir ou prendre une décision sans l’autorisation de son agresseur, la victime est souvent imposée le choix des amis, des habits, des aliments, la victime est empêchée de voir sa famille, ses amis, etc.
- Silence : ceci est une forme de violence psychologique passive avec de l’indifférence, regarder ailleurs quand l’autre parle, et le fait de nier l’existence ou les opinions de l’autre.
- Manipulation : Elle fait référence à des tactiques visant à influencer les émotions, les pensées ou les comportements d’une personne (la culpabilisation, la dévalorisation ou d’autres moyens de contrôle psychologique). La manipulation émotionnelle peut être utilisée pour exercer un pouvoir ou un contrôle sur l’autre personne, souvent de manière abusive.
- Humiliation : l’objectif de l’auteur de la violence psychologique est de rabaisser la victime. Il peut vous humilier, se moquer de vous, et essayer de vous dévaloriser et souvent en public (lors des soirées entre amis ou en famille) parce qu’il sait que la victime ne peut pas se défendre et si elle se défend l’auteur lui corrige en lui disant que c’était pour son bien ou qu’elle est trop sensible. La victime de violence psychologique sent que ses idées, ses besoins et ses opinions sont ignorés. Elle n’ose pas exister ou s’affirmer en présence de son agresseur.
Ces formes d’abus psychologiques entraînent un malaise émotionnel profond chez la victime, menant souvent à une perte de l’estime de soi et une lutte interne entre rester fidèle à soi-même et répondre aux besoins de l’agresseur. Cette dynamique crée un climat de tension et de souffrance, soulignant l’urgence de reconnaître et d’adresser ces comportements destructeurs.
Des conséquences désastreuses qui appellent à la sensibilisation et à l’action.
Selon les avis combinés de Ange Paquitta Iradukunda et Roxane Gatoto, les conséquences de la violence psychologique sont aussi diverses que dévastatrices. Ces dernières s’aggravent selon que la victime endure ces abus sur une longue période.
Ces conséquences comprennent :
- Érosion de l’estime de soi : Un déclin progressif de la confiance en soi, laissant la victime dans un état de doute permanent.
- Désespoir profond : Un sentiment d’impuissance et d’abandon, souvent accompagné de dépression.
- Dépendance aux substances : Recours aux drogues ou à l’alcool pour échapper à la douleur ou pour rechercher un semblant de bonheur.
- Troubles du sommeil et alimentaires : Des symptômes physiques reflétant le stress et l’angoisse intérieurs.
- Difficulté à établir des relations saines : Un défi majeur à faire confiance à nouveau, ce qui affecte les relations futures de la victime.
- Pensées suicidaires : Une tragique conséquence de l’extrême détresse émotionnelle.
Gatoto Roxane souligne l’importance cruciale de sensibiliser le public à ces formes de violences psychologiques pour mieux soutenir les victimes. Ange Paquitta Iradukunda pointe du doigt les normes sociales au Burundi qui peuvent exacerber ces violences, notamment par le contrôle exercé par les hommes sur les femmes.
Pour aider efficacement, il est essentiel de faire comprendre aux victimes que leurs expériences ne sont pas normales et qu’elles méritent mieux comme situation. Beaucoup pensent à tort que ces formes d’abus sont acceptables, surtout dans le cadre du mariage, ce qui complique leur reconnaissance et leur gestion. A. Paquitta Iradukunda insiste sur l’importance de chercher un soutien professionnel en santé mentale.
Les deux psychologues ont enfin appelé à la sensibilisation pour mieux comprendre et ainsi savoir l’aide qu’il faut apporter et à quel moment. Elles appellent à une vigilance accrue, à ne pas ignorer la souffrance d’autrui, et à oser intervenir lorsqu’un comportement anormal est observé. Cette démarche proactive est essentielle pour apporter l’aide nécessaire et au bon moment.