Quatre pistes pour comprendre le féminisme au Burundi

Au Burundi comme ailleurs les mouvements féministes ont pris les devants pour exiger le respect des droits des femmes et traitement équitable entre hommes et femmes. Bien que ces mouvements ne datent pas d’hier, l’opposition face aux féministes et à leurs différentes revendications restent d’actualité. Dans cet article, trois experts s’expriment sur la nécessité de mouvements féministes pour atteindre une société plus juste et équitable. 

  • De par sa définition

Pourtant la définition du féminisme semble on ne peut plus claire : tel que défini dans différentes littératures, le féminisme est un mouvement qui préconise l’égalité entre l’homme et la femme. Et par égalité, c’est faire en sorte qu’il y ait le respect de diversité des expériences, identités, connaissances et forces des femmes, et ainsi les autonomiser pour qu’elles réalisent pleinement leurs droits(IWDA). Christella Mariza Kwizera, Dr en Sociologie nuance : « Il faudrait parler des féminismes. Car, parler du féminisme, revient à l’associer à la variante occidentale qui s’est implanté un peu partout, alors qu’il y a bel et bien des féminismes comme le féminisme panafricain (Winnie Mandela) l’éco féminisme (Wangari Mathai), le féminisme décolonial, etc. En gros, la pluralité des féminismes dépend aussi de la pluralité des territoires. » Dr Christine Mbonyingingo insiste sur le fait que le féminisme a été enclenché au niveau de plusieurs nations à un rythme différencié à cause de l’ampleur et des effets de l’injustice et la discrimination envers les femmes dans chacune de ces sociétés. Pour elle ; le grand danger est que ceux qui ne comprennent pas le féminisme ne se donnent guère les moyens de le comprendre. Ils veulent résister au changement. Cela se répercute dans les relations entre les hommes et les femmes aujourd’hui.

  • L’équité entre hommes et femmes une illusion au Burundi ?

Selon Dr Christella Mariza Kwizera, il est totalement erroné de penser que dans le Burundi pré coloniale, la notion d’Equité n’existait pas. Pour elle, la société était construite de façon à ce qu’un homme et une femme pouvait s’épanouir dans ses rôles. Dans le Burundi précoloniale, il y a des valeurs qui se vivaient sans qu’elles soient exprimées par des mots en particuliers.  Ex : Umuntu arafise Ubuntu ce qui signifiait que la personne avait des valeurs positives de bienveillance, de gentillesse, de soutien, etc. Et c’est pareil avec l’équité, la femme et l’homme pouvaient s’épanouir chacun dans ses rôles. Et différents apprentissages (initiations) des filles et des garçons ne s’écrasaient mutuellement. On ne formait pas un garçon à être au-dessus de la fille. L’équité était à chaque étape de l’enseignement des enfants. Selon toujours Dr Christella Mariza Kwizera, la perte de l’équité au Burundi est conséquente à la colonisation. L’époque coloniale a été le moment où les Burundais ont commencé à se défaire des valeurs positives et ont été forcés à adopter d’autres et la période postcoloniale a malheureusement continué à creuser les inégalités.

Jean Baptiste Niyongabo, acteur en consolidation de la Paix, va beaucoup citer la tradition orale et ce que cette dernière disait sur la notion d’équité au Burundi. Il fait savoir que les femmes et les hommes avaient des rôles et des responsabilités distinctes mais complémentaires dans leurs ménages et dans la société. Pourtant, c’est à la femme que revenait le lourd fardeau car c’est elle qui s’occuper de la charge d’éduquer les enfants, assurer la survie de la famille par l’agriculture, l’élevage, la cueillette, les travaux ménagers, etc. (Nindorera : 2005). Dans une société équitable, je soutiens sans hésiter que l’homme et la femme ne se partageraient pas les rôles avec le plus de responsabilités aux seules épaules de la femme, mais s’entraideraient pour assurer ensemble la survie de leur famille.

  • Les causes féministes d’antan et d’aujourd’hui.

Alors qu’elle a rejoint les mouvements féministes vers les 70, Dr Christine Mbonyingingo, affirme qu’à cette époque, les femmes avaient une parfaite conscience de l’état de minorité dans laquelle elles étaient confinées et avaient des demandes spécifiques. Les premières luttes vont alors se focaliser sur

  • L’accès à la parole qui s’est concrétisé par le droit de vote des femmes
  • L’autonomie financière des femmes qui est passé par la création des groupements autour des projets d’agri-élevage et la perception des salaires sur leurs propres comptes bancaires et non sur ceux de leurs maris
  • La participation effective des femmes dans les instances de prise de décisions qui est passé par des plaidoyers pour que les écoles soient mixtes et que les filles ne soient pas cantonnées aux écoles ménagères et pédagogiques, mais qu’elles aillent à l’université et ainsi être candidates aux postes de moniteurs agronomes, médecins, économistes, juristes. L’entrée des filles à l’Institut Supérieur des cadres Militaires-ISCAM)
  • La révision des lois et mesures administratives qui discriminaient les femmes

Pour Dr Christine Mbonyingingo, les revendications actuelles des féministes sont tout à fait légitimes et ne se résument qu’à deux choses Egalité et Equité. Elle fait savoir que ces revendications sont saines dans le sens où elles ne sont liées essentiellement qu’aux engagements pris par le Burundi. Ces revendications souligne-t-elle, sont toutes des cibles de la politique nationale du Genre.

  • Sur quels leviers faut-il appuyer pour atteindre l’Equité ?

Jean Baptiste Niyongabo rappelle que l’atteinte de l’égalité des genres est une opportunité en or à saisir. « L’égalité entre les hommes et les femmes au Burundi constituerait une opportunité en or pour atteindre un développement durable bénéfique à la société ». Il insiste sur le fait que l’Equité n’est en aucun cas une menace. « Les revendications féminines ne menacent pas la position des hommes dans la société. Certains, voire plusieurs hommes ne comprennent pas ce  que c’est l’égalité et sont ignorants des avantages à tirer une fois qu’elle serait bien ancrée dans les racines de la société ». Dr Christine Mbonyingingo et Dr Christella Kwizera Mariza donnent aussi des pistes :

  • Une cadre légal égalitaire complet, exempt de clauses discriminatoires
  • Mise en œuvre systématique et rigoureuse des engagements pris par voie législative et/ou politiques
  • Consacrer la parité en matière de gestion de la cité
  • Une agriculture moderne adaptée aux espaces exigus.
  • Agir stratégiquement sur les normes et coutumes
  • Punir sans merci les auteurs de violences sexuelles et basées sur le genre
  • Les femmes elles-mêmes réalisent qu’elles sont dans une situation d’oppression
  • Eduquer les garçons et jeunes hommes à avoir de l’empathie par rapport aux besoins des filles. (Socialisation)

 

Quelques ressources.

  1. Nindorera A (2005) Alice Nindorera, “Aspects du patrimoine culturel contribuant à l’éducation relative à l’environnement au Burundi”, Éducation relative à l’environnement[Online], Volume 5 | 2005
  2. https://femmesdumaroc.com/reportage/dossier/pourquoi-les-hommes-ont-peur-de-legalite

 

 

COALITION FOR SEXUAL AND REPRODUCTIVE HEALTH AND RIGHTS, Case Study in Burundi and Colombia

Nous sommes ravis de vous présenter cette étude de cas en Colombie et au Burundi sur la santé et les droits sexuels et reproductifs, réalisée par  Zen Planet (Burundi) et Baranquilla+20 Colombie, deux organisations de ces deux pays.

L’objectif de cette étude de cas est d’utiliser l’accès et la dissémination de l’information pour relever collectivement les défis au niveau local dans la mise en œuvre des lois et des politiques d’éducation sexuelle, y compris les besoins et les aspirations des jeunes et de la communauté. L’objectif est t de formuler des actions spécifiques pour combler les lacunes identifiées.

Lire le document via ce  lien.

GROSSESSES PRECOCES CHEZ LES MINEURES, QUELLES SOLUTIONS REALISTES ?

 

Chaque année depuis 2016, plus de 1000 grossesses sont enregistrées en milieu scolaire. Pourtant, l’accès aux services de la SDSR adaptés aux jeunes reste limité et l’éducation sexuelle complète rencontre une grande résistance à pénétrer dans le système éducatif burundais.  Le 9 novembre 2023, Share-Net Burundi a organisé un Space pour tenter de proposer des solutions réalistes.

Le « Space » intitulé : Les grossesses précoces en milieu scolaire, quelles solutions réalistes ? avait pour objectif de rappeler les données alarmantes concernant les grossesses précoces, plaider pour l’urgence de la vulgarisation de l’Education Sexuelle Complete en milieu scolaire, et l’accès à des services adaptés chez les adolescents et les jeunes. Il était également question de parler sans détour des conséquences médicales et sociales des grossesses précoces chez les jeunes adolescentes et de la difficile réintégration des jeunes mères adolescentes à l’école

Pour mieux aborder cette thématique, Share-Net Burundi a invité trois orateurs dont Augustin Harushimana, maïeuticien, Alida Irambona, chargée de projet Right Here, Right Now 2 au sein de RNJ+ et Christophe Nindorera, animateur des clubs scolaires  SDSR chez Nanje Nobaho.

Après un bref aperçu du contexte au Burundi où 1019 élèves ont été victimes de grossesses en milieu scolaire durant l’année scolaire 2021/ 2022 et où l’effectif de ceux qui réintègrent le système éducatif reste faible, la modératrice est revenue sur les données de l’enquête démographique et de la santé de 2017 où 8 % des adolescentes avaient déjà commencé leur vie féconde dont 6% avaient au moins 1 enfant et 2% étaient enceintes d’un premier enfant. Le risque de mourir ou de souffrir des complications des suites d’une grossesse précoce étant plus élevé chez les adolescentes.

 

Il a ensuite été question de savoir les risques liés à une grossesse précoce et ses conséquences sur le plan médical ainsi que social.

D’entrée de jeu :

  • Augustin Harushimana a rappelé que les grossesses précoces désignent les grossesses chez une mineure (moins de 18 ans) et que ces dernières viennent avec leur lot de risques. Harushimana rappelle que ni l’utérus ni le bassin d’une adolescente ne sont matures pour supporter une grossesse. Pour conséquence, des cas d’anémies peuvent apparaître durant la grossesse ou des risques d’hémorragie à l’accouchement ou les avortements clandestins.  Selon l’« Annuaire Statistique » du ministère de la Santé, 950 avortements de jeunes filles âgées de 15 à 19 ans ont survenu en milieu de soins au cours de l’an 2021.

Pour lui, aux données récoltées par le ministère de l’Education s’ajoutent ceux de l’annuaire statistique santé 2019, 2020, 2021, qui confirment bel et bien que les grossesses précoces sont une triste réalité au Burundi.

  • Alida Irambona a enchaîné avec le règlement scolaire, qui stipule qu’une élève qui tombe enceinte est immédiatement renvoyée jusqu’à l’accouchement et que selon l’article 70 dudit règlement, elle doit rester avec son enfant 12 mois ou au plus 2 ans avant de reprendre l’école. Au moment où l’article 71 autorise le garçon qui a engrossé la fille de réintégrer l’école la rentrée scolaire suivante. Ce n’est pas tout, la jeune fille devra obligatoirement changer d’établissement avec présentation d’extrait d’acte de naissance de l’enfant. Pour elle, cette situation risque d’enlever tout envie à la jeune maman de reprendre le chemin de l’école. « Il n’est pas évident de reprendre l’école après avoir passé presque 2 ans voire plus à la maison, sans oublier le stigma que rencontrent les victimes. »
  • Pour Christophe Nindorera, les manuels utilisés pour parler de la santé sexuelle et reproductive chez les jeunes sont de loin efficaces vu la réalité sur terrain. Il a rappelé à l’audience que l’abstinence reste le maître mot en milieu scolaire, une situation qui, selon lui, fait fi des différentes données qui montrent clairement que certains adolescents sont sexuellement actifs. Christophe fait savoir que cette situation cache bien des maux. Les jeunes se retrouvent avec des grossesses non désirées, préfèrent prendre des breuvages supposés mettre fin à une grossesse ou optent pour un avortement clandestin avec les conséquences qui vont avec.

 

Différentes interventions ont eu lieu durant la discussion. Des questions comme pourquoi la jeune fille ne bénéficie pas de congé de maternité à l’instar de ceux écrit dans le code du travail (90 jours).  Une intervenante, Pamella Kazekare a demandé pourquoi au vu et au su des dangers qui guettent une mineure enceinte, l’avortement sécurisé n’est pas une option. Ce à quoi la sage-femme a répondu qu’au Burundi, l’avortement n’est pas légal et que c’est seulement au gynécologue de déterminer le niveau de risque que présente la grossesse pour déterminer la démarche à suivre.

Comme conclusion :

  • Christophe Nindorera a demandé aux pouvoirs publics de prendre la question de grossesses précoces et en milieu scolaire avec fermeté. Pour lui, il n’est plus question de se voiler la face mais de proposer des solutions réalistes comme l’introduction d’un module d’Education Sexuelle Complète et l’offre des services adaptés aux adolescents et jeunes.
  • Alida Irambona a rappelé que les OSC continuent leur plaidoyer pour que la période de renvoi de la jeune fille soit réduite.
  • Augustin Harushimana a plaidé pour le recrutement des Sages-Femmes dans tous les Formations Sanitaires qui selon lui sont les prestataires mieux places pour prodiguer des informations en Santé Sexuelle et Reproductive dans la communauté.

 

 

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