Dans les écoles, les espaces de travail, et surtout dans les familles, l’hygiène menstruelle demeure une réalité complexe. Le tabou entretenu à l’égard des menstruations et le maigre pouvoir d’achat des burundaises coexistent en une létale combinaison, formant l’inextricable nœud du problème.
C’est dans le souci de réfléchir sur des moyens de coordination des promoteurs en santé menstruelle, afin d’obtenir plus de résultats et plaider pour l’introduction du manuel sur la fabrication des serviettes hygiéniques réutilisables dans le curriculum scolaire, que Share-Net Burundi et le Collectif des blogueurs Yaga ont organisé, en mai 2023, une journée de réflexion sur les actions à mener pour mettre fin à la précarité menstruelle au Burundi, surtout en milieu scolaire.
L’activité organisée en marge de la journée internationale de l’hygiène menstruelle célébrée chaque 28 mai, a vu la participation des promoteurs de l’hygiène menstruelle pour la plupart, mais également des experts en santé sexuelle et reproductive, des médecins ainsi que des journalistes.
Il a été question de noter surtout que, malgré l’activisme dans le domaine de la promotion de l’hygiène menstruelle, la coordination de l’action des organisations reste à désirer, compromettant d’une part leur impact.
Comme le met en lumière les chiffres de l’Association Abarundikazi Period Movement, beaucoup d’efforts doivent être consentis en vue d’une bonne hygiène menstruelle des Burundaises. En effet, entre 2021-2022, 7504 filles sur 27937 se sont absentées de l’école en raison de leurs menstruations, tandis que selon l’enquête de l’UNICEF en 2017, 31,6% des Burundaises utilisaient encore des vieux morceaux de pagne comme serviettes hygiéniques.
Lors des échanges, le panel d’experts et les intervenants n’ont pas manqué de donner les raisons qui expliquent cet état des lieux stagnant, en évoquant les quatre défis cruciaux à surmonter dans ce domaine :
- L’accès limité aux produits d’hygiène menstruelle : Un paquet de 10 serviettes hygiéniques jetable le moins coûteux s’achète à 3000 Fbu, ce qui est inaccessible pour une partie importante de burundaises. Il y a aussi le challenge de la disponibilité limitée des serviettes hygiéniques dans certains coins du pays, ce qui oblige une partie des femmes à utiliser des méthodes alternatives, notamment l’utilisation de chiffons, de feuilles ou même de sacs en plastique pour gérer les menstruations. «Des méthodes alternatives douloureuses et inconfortables, qui peuvent également conduire à des infections et à d’autres problèmes de santé», ont commenté les participants.
- Le manque d’installations sanitaires appropriées : une insuffisance en termes de toilettes publiques s’observe à l’en croire les avis des participants, ce qui conduit les femmes et les filles à devoir se cacher pour changer leurs serviettes. Dans les écoles, le manque de différenciation entre les toilettes des filles et des garçons et le manque de propreté dans ces toilettes, peuvent rendre les femmes vulnérables à la violence et à l’exploitation, ainsi que causer de l’inconfort et de l’anxiété.En ce qui est des sanitaires dans les écoles, Inès Kidasharira, défenseure des droits de la femme et coordinatrice du programme SRHSR Solutions propose la mise en place d’un système d’évaluation des écoles basé sur leur niveau de facilitation de la gestion de l’hygiène menstruelle, similaire au système utilisé pour les établissements de santé.Pour elle, la vérification que l’école dispose de toilettes propres et de points d’eau aiderait à identifier les écoles qui ont besoin d’améliorer leurs capacités de gestion de l’hygiène menstruelle pour qu’aucun élève ne manque l’école en raison d’un manque d’infrastructures adéquates. Ceci serait bénéfique pour promouvoir l’égalité des genres et garantir que les jeunes filles ont accès aux éléments de base nécessaires pour leur santé menstruelle.
- Le manque d’informations sur l’hygiène menstruelle : Les femmes et les filles burundaises rurales sont souvent soumises à de fausses croyances, telles que le fait qu’elles ne peuvent pas s’approcher de pêcheurs ou qu’elles doivent éviter de passer dans les champs de tomates lorsqu’elles ont leurs règles parce que les tomates pourriraient avant leur maturité, en raison du tabou entourant ce sujet. Les filles ne reçoivent souvent pas les informations et les conseils dont elles ont besoin pour gérer efficacement leurs menstruations, ce qui peut entraîner des erreurs de santé telles que l’utilisation de produits d’hygiène inappropriés ou un manque de changement de produits avec la fréquence nécessaire. En plus de leur bien-être physique, cette stigmatisation de la menstruation peut également avoir de graves conséquences sur leur santé mentale et émotionnelle.
- Le faible engagement des décideurs : Au cours des discussions, les décideurs ont été interpellés pour prendre des mesures permettant d’améliorer l’hygiène menstruelle. Il s’agit notamment de renoncer à la taxe sur les tampons et serviettes hygiéniques, ce qui contribuerait à faire chuter le prix et rendre ces produits plus accessibles. Pour Francoise Nibizi, Fondatrice de SACODE, la mesure s’impose au vu du pouvoir d’achat des Burundaises. « La taxe sur les serviettes hygiéniques devrait être réduite aux mieux abolie dans le sens ou plusieurs femmes burundaises qui sont frappées par la pauvreté ne peuvent pas s’en procurer à cause de son prix élevé mais également la suppression de cette taxe servirait à accomplir plus d’équité en matière de genres, parce que c’est déraisonnable que la femme soit taxée du simple fait qu’elle va en règles. »
Le manque d’hygiène menstruelle n’est pas seulement un problème de santé publique, mais aussi un enjeu de dignité humaine.
C’est encore une fois, Françoise Nibizi qui le clame. «Au Burundi, c’est souvent le mari qui contrôle l’argent. Cependant, il se préoccupera du fait que son fils, arrivé à la puberté, ait de l’argent pour commencer un petit business. Mais jamais il ne pensera que sa fille aurait besoin d’un peu d’argent pour se procurer des serviettes hygiéniques. En fin de compte, il s’agit d’une question d’équité des genres et de dignité humaine ».
Livia Thiana Iteka, Miss Burundi 2021 souligne que « les problèmes liés à l’hygiène menstruelle au Burundi ont des conséquences à long terme pour les filles qui ne disposent pas des moyens nécessaires pour gérer efficacement leurs menstruations et de ce fait, continuent à manquer l’école, ce qui impacte sur leur avenir économique et leur autonomisation.» Et d’insister : « En 2023, on ne devrait plus voir une jeune fille qui s’absente à l’école à cause des menstruations. Alors que ces pairs masculins fréquentent l’école sans problèmes.»
D’où son plaidoyer pour que l’Etat puisse soutenir le travail des fabricants des serviettes réutilisables à travers l’appui matériel.
Les participants ont unanimement suggéré au Ministère de la Santé de procéder à une étude approfondie de la situation actuelle qui pourra guider les actions concrètes de la part de tous les acteurs concernés.